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Flavien Bernard
25 juillet 2019

Camino de Santiago, le récit : Chapitre XIII

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Après un bon gros repas et de grandes lampées de vin j'ai passé la nuit à ronfler. C'est en tout cas ce que m'a dit, avec grande douceur, le Belge avec qui je partageais le dortoir. Si tu ronfles, un Français ne manquera pas de te réveiller toute la nuit, (erreur grossière, puisqu'un ronfleur ne fait profiter de ses sonorités nasales qu'en début et fin de sommeil) ; en revanche, s'il a un brin de jugeote il te laissera ronquer mais viendra te cueillir au réveil et te le reprochera sévèrement. Un Belge quant à lui te le fera comprendre avec la bienveillance typique de sa peuplade. Le mien, lorsque nous nous sommes salués devant le café, me dit d'un ton drolatique accompagné d'un grand sourire "tu as bien dormi dis don !". Ce qui par ma foi était fort vrai. Une très bonne nuit de sommeil, malheureusement pas suffisamment réparatrice pour ma jambe. Michel se remit à me pétrir la gambette et, constatant ma douleur, me proposa de me déposer à Conques, celui-ci s'y rendant pour la messe. J'acceptais partiellement sa proposition, lui demandant simplement s'il pouvait m'épargner la grande descente et la petite côte qui suivait. Il accepta et je finis le reste à pied.
Ce ne fut point une mince affaire pour autant, la descente sur Conques est certes sublime, mais plus raide que je n'ai pu l'être à mes premiers émois.
C'était pour moi une étape importante, je souhaitais vraiment y arriver à pied, dussé-je y passer la journée. Elle représentait la partie la plus difficile physiquement de mon pèlerinage et marquait la fin du premier gros tronçon du chemin.

Arrivé dans ce village médiéval, j'entrepris de gagner quelques euros en sortant ma coquille sur les marches de l'abbatiale, histoire de me payer une nuit de gîte au monastère.
C'est à cette occasion que je fus rejoint par Charlotte, en larmes. Un pèlerin avec qui elle avait un peu marché venait de mourir d'une crise cardiaque en grimpant la sortie de Conques. Elle était dévastée. Je la réconfortais tant que je pus. D'après mon souvenir et ce que m'en conta Charlotte, cet homme devait terminer son chemin à Conques, mais pris par l'engouement, avait décidé de jouer un peu les prolongations. Il était mort sur le coup, la personne qui l'accompagnait l'a vu rire, puis tomber à terre, inerte. Si je comprenais la tristesse de ma camarade, je trouvais cela beau. Comme si cet homme avait choisi de terminer son existence en réalisant ce beau rêve, marchant jusqu'à sa mort.
J'offris une glace à Charlotte, puis nous nous dîmes adieu.

M'en retournant sur le parvis de l'abbatiale, je fus cueilli par la pluie. Je me dirigeais donc vers l'accueil du monastère, les poches aussi vides qu'un discours d'un président de la République du 21e siècle.
J'y ai été accueilli par Patrick, un hospitalier sexagénaire qui ressemblait plus à un quadra qui aurait trop picolé. Je lui expliquais ma situation, il m'invita à m'installer dans le dortoir et m'y reposer. Moins handicapé qu'à mon séjour à St Côme, je lui proposais mon aide qu'il accepta volontiers quand le soir serait venu pour servir le repas aux pèlerins.
En attendant nous discutâmes un bon moment. Patrick fut le premier mordu du chemin qu'il m'eut été donné de rencontrer, il l'avait parcouru plus d'une dizaine de fois. Le rituel était toujours le même, il passait plusieurs mois à concevoir et fabriquer son bourdon*, puis une fois celui-ci achevé, il partait en chemin. Cette fois-ci, il venait de récupérer une rame de barque dont il transformait la pale en coquille St-Jacques. Compte tenu de son avancée, j'estimais son prochain départ en septembre. Il m'expliqua ensuite le fonctionnement du monastère, me dit qu'il compte plus d'une centaine de lits. Il m'informa également que l'hiver dernier, les prémontrés (ordre des frères de Conques) ont accueilli une quinzaine de mineurs migrants érythréens. A ce moment-là, il n'en restait plus qu'un qui ne put être inscrit à une formation et accueilli par une famille car la préfecture émettait des doutes sur son âge. Alors en attendant qu'un véritable statut lui soit proposé, les frères l'ont pris sous leur aile.

19h sonna, l'heure était venu de servir la soupe aux pèlerins. C'était assez amusant de servir mes compagnons de routes dont, pour certains, j'avais croisé le chemin, et de les voir tout étonné d'être leur humble serviteur du soir.
Ensuite ce fut au tour des hospitaliers de passer à table. J'étais à gauche de Patrick et en face du jeune Erythréen. Il avait déjà eu vent de mon histoire, et me posa plein de questions tout en me servant la tambouille. Je lui répondais volontiers, tout en lui indiquant que j'étais en mesure de me servir moi-même, qu'il ne fallait pas se donner tant de mal pour me gâter, qu'après tout nous étions à la même table et bien semblables sous certains aspects. Il n'y voulu rien entendre. Il se faisait fort de me servir comme un prince, me versant verre de vin sur verre de vin, clamant que ma religion à moi me l'autorisait et que cela me ferait le plus grand bien. Jamais personne n'avait autant pris soin de moi. Je pris ce jour-là une grande leçon d'humanité. Ce gamin qui a perdu sa famille, affronté la guerre et mille tourments pour venir jusqu'en France, dont les représentants de l'Etat ne sont pas d'une grande douceur avec lui, faisant planer à son encontre la lourde épée de Damoclès d'une expulsion du territoire, et il me traitait avec autant de douceur et que si j'eus été à sa place.

"Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli ; j'étais nu, et vous m'avez vêtu ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus vers moi […] En vérité, je vous le dis, toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, vous me l'avez fait à moi-même…" Matthieu 25.31

Ami lecteur, si tu passes par Conques, je t'invite à assister à la trilogie nocturne des frères prémontrés. Tu commenceras par la beauté des complies, l'amusante et néanmoins historique présentation du tympan du jugement dernier de l'abbatiale, et pour finir, l'aussi beau que saugrenu concert d'orgue.
C'est ce que je fis avant de gagner le dortoir où un tout autre type de concert s'y tenait. Un concerto en sinus majeur composé d'une centaine de musiciens. Ça vaut le détour !

*Bourdon : Bâton de marche du pèlerin

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