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Flavien Bernard
4 juillet 2019

Camino de Santiago, le récit : Chapitre IX

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Réveillé à six heures du matin par les mêmes loustiques qui avaient fait un barouf d'enfer jusqu'à vingt-trois heures, je sortis difficilement du lit après une petite demi-heure. Pendant le petit déj, l'un des gérants du bouclard me demanda si j'allais faire étape à Aumont-Aubrac pour la nuit, auquel cas il me confirait la serviette d'un pèlerin qui l'avait oubliée la veille. Cela tombait bien, c'était mon objectif du jour.
Marcher m'était très difficile ce matin-là, j'étais mal réveillé, peu reposé, mon corps semblait rouillé, ma tête dans la brume la plus totale… j'errais plus que je ne marchais. Le temps me semblait d'une longueur incommensurable, les côtes infranchissables, le froid de ces derniers jours avait laissé place à une chaleur épouvantable, et bon Dieu que ma tête me faisait mal !
Peu après Saint-Alban sur Limagnole, je décidais de m'octroyer une sieste. Je me suis installé sur un banc, mais n'arrivant pas à me rafraîchir je ne pus trouver le sommeil. Bon, cela ne sert à rien d'insister, me dis-je, lève le pouce et retourne à Saint-Alban ! Me rapprochant de la route et commençant à faire du stop pour revenir en arrière je me souvins qu'il me fallait rendre la serviette au tête en l'air ! Et merde, je n'ai pas du tout la force de me rendre jusqu'à Aumont-Aubrac, gueulais-je dans le vent. J'étais en plein conflit interne ! Dormir à Saint Alban ? Mais je me suis engagé à apporter cette maudite serviette ! Marcher jusqu'à Aumont ? Je n'en ai pas la force ! Et bien tu n'as qu'à faire du stop jusqu'à Aumont-Aubrac et tu reviens en stop tambien à St Alban ! Ouep c'est un bon plan.
Après un bon quart d'heure à dessécher sous le soleil exactement, juste en dessous, je fus embarqué par une adorable famille de Portugais entassée à cinq dans une Focus, elle pouvait m'avancer de sept kilomètres, c'était déjà ça. Bon sang que ce trajet me semblait interminable serré dans cette boite à sardines sous cette chaleur de plomb sur ces routes sinueuses.
Ils me déposèrent à un rond-point et m'indiquèrent la direction, ce qui ne fut pas pour me rassurer, il s'agissait d'une toute petite route intercommunale où aucun véhicule ne s'engageait. De plus je m'aperçus que le trajet par cette route serait plus long que part le GR. - Bon, en marche et on verra bien.
Une heure passa avant que je ne croise la première voiture qui préféra me klaxonner que s'arrêter. L'asphalte reflétait les rayons du soleil, mes pieds brulaient, je suais comme un porc et pour me donner du baume au cœur, je n'avais presque plus d'eau.
Une heure, trois voitures indifférentes et une douleur à la jambe plus tard, j'approchais d'un bourg que j'espérais de tous mes vœux être ma destination du jour. Malheureusement ce ne fut point le cas. Dans ma déveine j'eus tout de même la chance d'y croiser une boulangerie où je pus remplir ma gourde, et récupérer un peu autour d'un café et d'une succulente tarte au citron. Tu me diras, j'avais tellement soif et tellement faim, qu'elle aurait bien put être dégueulasse je l'aurais trouvée des plus exquises, la faim réjouit toujours les papilles.
Peu rassuré quant à la direction à prendre et le temps de trajet qu'il me restait, je m'enquis auprès de la boulangère de me renseigner à ce sujet. Il restait encore trois kilomètres. Mon désespoir devait sans nul doute être parfaitement visible sur ma tronche puisque la cliente à ma droite se proposa de m'y déposer. Hallelujah !

Aumont-Aubrac ! Enfin ! A peine sorti de la voiture que ma décision était prise, je déposerai cette serviette de malheur à la réception de la chambre d'hôtes du gus et me trouverai une piaule pour la nuit. Ce que je fis non sans peine pour la deuxième partie, je n'avais plus que vingt-neuf euros en poche et aucun gîte n'était dans mes prix, ou alors il ne m'aurait rien resté pour m'acheter à manger.
Avançant vers la sortie du village, une voix familière venait de héler mon prénom, c'était Romain attablé à la terrasse d'un bistro en compagnie de Loïc. Ils m'invitèrent à boire une bière.
Après leur avoir narré mes aventures du jour, Romain me dit que le bar est aussi un gîte et que la chambre coute vingt-trois balles…
Parfait, je parti en quête du gérant qui me dit être complet mais lui restait ce qu'il définissait comme un placard à balais nanti d'un petit lit qu'il voulait bien me louer pour dix euros. J'ai immédiatement accepté et rejoint mes compères avec qui j’ai passé la soirée à refaire le monde.

Le lendemain matin ma douleur à la jambe n'était toujours pas partie, et la fatigue toujours là. Loïc et Romain ne m'ayant pas laissé payer la moindre tournée, il me restait de quoi dormir une nuit de plus et m'offrir un petit casse-croute. Je me suis donc offert une journée de repos. J'en ai profité pour aller à la messe (comme dans la plupart des villes de campagne, il s'agissait d'une messe anticipée, le samedi) où j'eus la grâce de recevoir vingt balles d'une paroissienne qui m'avait vu casser la croute sur le parvis de l'église, elle m'avait pris pour un mendiant, je lui expliquais que ce n'était pas le cas, que j'étais pèlerin ; elle en rajouta cinq de plus pour que je prie pour elle. Ayant réussi à la convaincre que la prière ne s'achète pas, je suis parti avec la somme initialement offerte et passa le reste de la journée à roupiller.

Dimanche 22 avril 2018, nouvelle journée de marche difficile due à ma pate folle, moins douloureuse que la veille mais c'était raide.
Je fis halte au gîte municipale de Nasbinals, où je dus étouffer la tristesse de ne pouvoir me régaler, faute d'argent, du meilleur Aligot de France tant vanté par mon ami Germain, je me suis contenté d'un plat de nouilles.

Lundi 23 avril 2018, réveil en douceur et sans trop de douleur, je suis parti vers sept heures, à la fraîche, plein d'entrain, presque réparé. L'Aubrac est un grand plateau de pâtures sauvages et arides. Je m'y sentais comme dans ce que je me représentais du moyen âge… froid, sombre, et hostile. Les rares fermes semblaient d'époque, comme si le temps n'avait jamais eu prise en ce lieu.
Chemin faisant, je ne voyais pas un pèlerin à l'horizon, mais j'étais bien sur le GR 65, les balises ne manquaient pas par ici. En tout cas ce désert hors du temps n'appelait pas tant à la contemplation qu'à l'introspection. Je me remémorais ce qui m'avait motivé à tout quitter, je repensais au cinéma, à la mairie, à ce qu'était ma vocation, qu'elle voie allais-je prendre une fois ce périple achevé, il était loin d'arriver à son terme, je le savais, mais c'était aussi pour cela que j'étais parti, pour discerner ma vocation, et le sacerdoce était une piste que je prenais très au sérieux.
Mes pensées furent brutalement interrompues lorsque j'eus la douloureuse impression que l'on venait de m'arracher un muscle de la jambe droite.
Je me suis effondré au sol, me tordant de douleur, c'était insoutenable. J'étais au milieu de nulle part, en plein désert hors du temps, sans âme qui vive, ne pouvant plus poser le pied à terre. La peur me gagna, je n'avais plus un sous en poche, pas de téléphone pour appeler les secours (quoi que j'imagine volontiers qu'il n'y avait sans nul doute aucun réseau mobile dans ce trou paumé), et tellement mal.  J'entendis raisonner la voix de mon oncle dans ma tête "il ne tiendra pas neufs jours"… Il avait raison cela ne faisait que huit jours que j'étais parti, seulement sept de marche de surcroit, et j’étais à terre.

Abattu, je ne savais pas quoi faire, j'étais perdu, étouffé par la peur, mon corps me lâchait. Je me suis senti seul, tellement seul…

A très bientôt pour la livraison du chapitre X

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